St-Octave-de-l'Avenir

St-Octave-de-l’Avenir 1932-1971… – Dernière partie

Extrait du livre St-Octave-de-l’Avenir 1932-1971 – Chapitre « De l’Avenir… » dernière partie

Rappel de la semaine dernière : Comment se fait-il qu’eux, qui n’avaient rien de ce que nous avons, en parlent comme de la plus belle époque de leur vie. Il faut peut-être se demander ce qui nous rend vraiment heureux. On nous dira: « Si les gens de St-Octave avaient tout bon, alors pourquoi le village n’a-t-il pas survécu ? » Le village a cessé d’exister dans sa forme d’origine. Mais il est toujours là. L’exode de la communauté est un événement dans l’histoire du St-Octave. Et non sa fin.

L’esprit de St-Octave, qui nous anime encore aujourd’hui, est né dès sa fondation. C’est le fait le plus important et le plus durable de son histoire. Ce qui se passe ensuite avec la fermeture du village et l’exode de sa communauté, est d’un autre ordre.


D’accord, il y a eu des erreurs de parcours. Comme partout ailleurs. Mais la seule erreur, qui a remis en question l’existence même de St-Octave, est venue de la confiance que nous avions encore à cette époque, dans les représentants élus et les technocrates qui avaient pour mission d’aider les populations à améliorer leur sort et leurs conditions de vie.

Eglise St-Octave CrayonDès les années 40, l’État qui a encouragé un moment les premiers colons, les empêche de défricher, va jusqu’à leur refuser de récupérer le bois brûlé du Faribeault. Autrement dit, l’État condamne des gens à la misère, au fin fond des montagnes gaspésiennes pour de simples raisons de stratégie politique. Nous avons cru naïvement que l’État travaillait au bien des citoyens. C’est la plus grande erreur que nous ayons commise. Mais est-ce bien la nôtre ? On nous avait appris le respect de nos institutions. Qui n’est pas ce qu’il devrait être dans cette histoire ? Aujourd’hui, nous savons. Et nous n’oublierons pas.

Il aurait suffi de peu de chose pour que St-Octave continue à vivre. Mais il n’y avait sur la table qu’un plan de fermeture, ou sinon des menaces de couper l’accès, les services et tout ce qui pouvait permettre aux habitants de rester sur leurs terres. Tout le processus de la fermeture de St-Octave est une honte. Nous voyons là, un gouvernement qui trompe les citoyens, qui les méprise et qui les humilie en détruisant ce qu’ils ont construit.

Ce que les anciens de St-Octave ont sur le cœur, ce n’est pas tant la fermeture de leur village. Ils l’auraient acceptée si elle avait été une solution véritable et si elle avait été réalisée dans la dignité et le respect. Mais eux qui, en temps de crise et de leur propre initiative, avaient offert à des centaines de personnes un pays nouveau, l’espoir d’une vie meilleure, alors que l’État n’apportait pas grand-chose à ses citoyens comme solution à leurs malheurs, se sont vus récompensés par le mépris et le vol de leurs biens.

St-Octave Vue LargeAlors qu’on paye un avocat au premier criminel venu, on ne leur a même pas offert l’assistance nécessaire à la défense leurs droits, et qu’ils ne pouvaient se payer eux-mêmes. On a profité de leur situation de faiblesse pour se réapproprier leurs terres. Non seulement il n’y avait pas de plan pour St-Octave, mais il n’y avait aucun projet pour le territoire. Même Forillon, autre sujet de honte, avait comme prétexte un parc national. Chez-nous, on a seulement planté des arbres sur la terre faite pour effacer au plus vite les traces de notre passage. Et ceux-là ne venaient pas de loin. Et ceux-là ne parlaient pas anglais.

La Gaspésie a vu trop d’erreurs, trop d’arrogance et de mépris de la part de ceux qui disaient vouloir l’aider. La morue, le hareng, comme les épinettes plantées n’importe comment sur les terres faites de St-Octave, ne meurent pas du supposé réchauffement climatique. Ils meurent de la bêtise et de l’ignorance. De l’ignorance qui prétend enseigner à la connaissance. Ce pays souffre plus que jamais de cette même bêtise et de cette même ignorance. Du pillage de nos richesses par nos gouvernements successifs au profit d’étrangers qui ne nous laissent que du chômage et un territoire dévasté. De notre appauvrissement, de notre esclavage à des lois et des règlements de plus en plus stupides. De l’inconscience de ceux qui croient tout savoir et qui n’écoutent jamais. De notre liberté perdue.

Vue sur village St-OctaveDevrais-je exprimer ma pensée avec plus de modération? Etre plus « politiquement correct»? Peut-être. Mais au fil des promesses et des mensonges, mon vocabulaire modéré s’est effiloché. Comme la patience des gens de mon pays. St-Octave est là pour qu’on se souvienne de la liberté. Pour qu’on se rappelle que nous n’élisons pas des dirigeants mais des représentants. Que nous avons le pouvoir de dire oui, de dire non. Que nous avons le pouvoir de bâtir, à notre façon et de disposer de nos richesses, de mettre à profit notre connaissance et celle de nos ancêtres, de mettre en valeur notre héritage et de décider de notre avenir. A tous ceux qui croient nous diriger, nous soumettre et nous dicter ce que nous avons à faire, je prédis qu’un jour, de Ste-Flavie à Ste-Flavie, vous ne trouverez plus devant vous que des enfants de St-Octave. De retour. Après un long voyage.

Nous ne laisserons plus défaire notre ouvrage. Le pays, nous ne le ferons pas, nous le continuerons. Et surtout, jamais plus nous n’échangerons notre liberté contre des faveurs que nous avons, seuls, le pouvoir d’octroyer. Si vous aimez ce pays et désirez travailler avec nous à son avenir, nous vous accueillerons avec dignité et respect. Chez-nous. Parce que ce pays est le nôtre. Que nous en sommes fiers. Que nous y sommes libres et souverains, individuellement et collectivement. Voilà ce qui « allait commencer là ». Voilà ce qui est inscrit dans la terre de St-Octave et dans son avenir. Comme dans celui de la Gaspésie toute entière. Il fallait que ce soit dit. Il faudra que ce soit fait…

Enfin, chers lecteurs, puissions-nous vous transmettre la passion qui anime tous les anciens de St-Octave, pour la liberté, pour la dignité et la fierté de ce que nous sommes et de ce que nous avons été. Lorsque vous viendrez admirer nos montagnes, attardez-vous, écoutez le silence, entrez quelques instants dans l’église. Nous l’avons bâtie aussi pour vous. Pour ce moment de paix dans votre voyage. Sous sa voûte humble et magnifique, encore chargée de la ferveur des gens qui allaient y prier ensemble, le silence vous dira que ce qu’on appelle un pays, est simplement le chemin parcouru par qui a aimé un jour.

A ceux qui nous interrogent et qui veulent savoir comment et pourquoi les montagnes « sont toujours bleues »… C’est un secret qui appartient aux anciens de St-Octave et qu’aucun de nous ne révèlera. Mais qui sait, à force de les fréquenter, il se peut que les montagnes, un jour, se mettent à parler… A vous, gens de St-Octave, toute mon admiration et tout mon amour.


Daniel DeShaime
Cap-Chat – Avril 2016


Jean-Claude Dupont - 1934-2016 St-Octave-de-l'Avenir 1932-1971... - Extrait 2